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Qui veut tuer les biocarburants ?

Mar 18/12/2007   —   Les carburants verts ont des ennemis en France. Dans l'industrie, dans certains milieux scientifiques, et dans le monde politique, ces gens marquent des points.
C'était dans la foulée du salon de l'auto de Paris en octobre 2006. Le ministre des finances d'alors, Thierry Breton, s'était fait photographié en train de faire le plein de superéthanol E85 d'une Renault Megane. On annonçait plusieurs modèles de voitures très rapidement, et 500 pompes d'ici la fin 2007. Nous en sommes loin. La Renault Megane E85 dont le ministre avait pu disposer en octobre 2006 n'a été commercialisée qu'en juillet 2007, et des 500 pompes promises, moins de 200 sont ouvertes. On avait probablement sous-estimé les difficultés, et il est bien vrai qu'on ne peut pas mettre de l'éthanol comme cela dans une cuve à essence. Mais nous remarquons que la majorité des stations ouvertes ne sont pas des stations de pétroliers, mais d'hypermarchés. Le plus grave cependant, est selon nous dans le verbe, car nous avons entendu en cette année 2007 un nombre considérable de gens, avec des qualifications très diverses, dire du mal des biocarburants. Les arguments qu'ils emploient sont souvent justes, cela ne veut pas dire pour autant qu'ils aient une portée universelle.

Ainsi l'argument que les cultures de biocarburants prennent la place des cultures alimentaires, qui n'est pas faux, mais en cette période de Noël où les magasins débordent de nourritures de toutes sortes, nous ne voyons pas où l'illustrer dans l'hexagone. C'est donc peut-être un argument pour interdire ou limiter les biocarburants au Soudan, mais pas en France.

Nous avons ensuite l'idée que la culture des biocarburants est néfaste pour les sols car trop intensive. Ceci n'est pas complètement faux non plus, mais ignore t-on que toute l'agriculture est intensive ? Et elle va le rester. On peut débattre des OGM (nous sommes contre), mais on ne pourra jamais nourrir plus de 6 milliards et demi de personnes en faisant du jardinage. Les cultures du blé, du colza, ou de betteraves pour faire des biocarburants ne sont pas plus mauvaises que celles destinées à l'alimentation humaine. Et la France possède encore des réserves de terres cultivables non exploitées.

Enfin les biocarburants sont une menace pour la biodiversité. C'est parfaitement vrai en Asie du Sud-Est, où on a rasé des forêts millénaires pour donner à la place à des plantations de palmiers à huile pour fabriquer du biodiesel. Mais, n'est-il pas possible de refuser d'acheter des biocarburants à ces pays ? On peut faire beaucoup avec la production française, et l'agriculteur picard qui plante des betteraves ne détruit aucune forêt primaire.

La France est un pays où on a payé des viticulteurs pour qu'ils arrachent les pieds de leurs vignes. Si aujourd'hui, des agriculteurs parviennent à gagner de l'argent avec les biocarburants, c'est un progrès considérable qu'il faut asseoir dans la durée avec une fiscalité stable. Il est consternant d'entendre un homme polique de la majorité dire que la défiscalisation (par rapport à l'essence) du superéthanol E85 est une perte pour l'état. Il vaudra toujours mieux taxer plus les hydrocarbures fossiles importés, que les produits de l'agriculture française. Le point le plus décevant cependant, est que le nouveau système bonus-malus de CO2 ne donne aucune place à l'E85. Il est vrai que les voitures disponibles en version E85 ne sont pas les plus petits modèles, mais il est très moche que toutes les voitures E85 disponibles en France aient un malus. Est-ce une façon de traiter le client motivé par les carburants agricoles, de lui faire payer un supplément ? C'est le meilleur moyen de le convaincre d'acheter un diesel, qui lui n'aura pas de malus... Il serait habile de supprimer le malus pour les voitures flex-fuel, jusqu'à peut-être 225 g/km de CO2 (équivalence de 160 g/km de CO2 essence, en accordant un gain d'émission de 40 % avec l'E85*).

Pendant que certains s'émeuvent de la réception en grandes pompes de Kadhafi grâce à ses poches pleines de pétrole, on peut rappeler que les droits de l'homme, c'est beau, mais que personne n'a encore trouvé le truc pour faire rouler une bagnole avec. Alors en attendant, les biocarburants produits en France sont une opportunité à encourager.

Laurent J. Masson

*On estime généralement que l'usage de superéthanol E85 (85 % éthanol, 15 % essence) réduit les émissions de CO2, en bilan global du puits à la roue, de 40 à 65 %.


Rubrique(s) et mot(s)-clé : hors-constructeur ; biocarburant