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Interview d'une pro de l'électrique : Isabelle Rivière

Ven 12/01/2018   —   Sur les autos et leurs bornes de recharge.
Les voitures électriques sont une passion pour certains, et une activité professionnelle pour d'autres. Isabelle Rivière appartient à cette seconde catégorie. A MoteurNature, nous l'avions rencontré pour la première fois en 2005, mais c'est surtout depuis 2012, par la création des Assises des infrastructures de recharge pour véhicules électriques (IRVE), qu'elle s'est faite largement connaître. Tentant d'organiser ce qui ne l'est pas, Isabelle Rivière a la grande vertu de n'être liée à aucun constructeur auto, ni à aucun fabricant de bornes ou énergéticien, ce qui lui donne une totale liberté de parole. C'est pour cela que nous l'interrogeons ici.

Isabelle RivièreMoteurNature. Le marché auto français est en hausse, mais les électriques progressent moins que les essences, comment expliquez-vous cette contre performance ?

Isabelle Rivière. Ce n’est pas, pour moi, une contre-performance. Nous ne sommes pas la Norvège et ne devrions pas nous comparer. Regardons d’où l’on vient et réjouissons-nous de la chute spectaculaire du diesel depuis 2015 que d’aucun, ne prévoyait si rapide. En 2017, avouons qu’il n’était pas aisé de passer le pas de l’électrique en se rendant chez son concessionnaire historique. Il y avait peu de modèles sur le marché à un prix compétitif avec une autonomie « gérable/acceptable », sans compter les délais de livraisons annoncés qui étaient le coup de grâce ! Ajoutez à cela, le manque de formation, et trop souvent d’intérêt, de la majorité des concessionnaires pour leurs modèles électriques, j’en viendrais vite à me féliciter des performances marché de l’électrique, si modestes soient-elles ! Aujourd’hui, les constructeurs sont pieds au plancher pour inverser la dynamique en faveur de l’électrique, demain l’ensemble des gammes aura des produits adéquats. Rendez-vous dans deux ans, je suis sûre que nous aurons des chiffres très intéressants !

La France agit pour doper la voiture électrique. Le bonus-malus, la prime à la casse, la carte grise gratuite presque partout, pensez-vous que ces mesures sont suffisantes ? Avez-vous d'autres idées ?

J’avais d’autres idées et surtout une stratégie de communication par public, dont le premier étage de la fusée était le site d’Obs-IRVE (observatoire du déploiement des IRVE) lancé en 2015 et co-financé par l’ADEME. Ce projet a été avorté pour des raisons partisanes en moins d’un an, le deuxième étage de la fusée manque aujourd’hui terriblement pour le grand public et pour les dispositifs de financements qui auraient pu bénéficier d’analyses d’usages afin de réorienter les financements à destination des bornes ouvertes aux publics. Permettez-moi de décliner cette question car des dossiers existent et il suffirait que les responsables, au sein de l’Agence d’Etat concernée, le veuillent pour que cela émerge.

A l'essence ou au gazole, les automobilistes ont été habitués au paiement à l'acte, sans aucune formalité. Les bornes de recharge ne sont, malheureusement, pas comme cela. Voyez-vous cela changer ?

Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. « Simplifier » est le maître mot de TOUS les professionnels de l’écosystème qui soutiennent les Assises IRVE à Nice depuis 2012. Pour autant, faites ce que je dis et ne faites pas ce que je fais... La pratique s’est heurtée aux habitudes d’hier, aux logiques de grands acteurs historiques qui ont parfois empêché l’émergence de solutions agiles plutôt que de se concentrer sur les potentialités d’une complémentarité de services à développer.

Le paiement à l’acte a suscité de nombreuses polémiques au cours des deux dernières années aux Assises de Nice alors qu’en février 2015, ABB exposait pour la première fois sur le territoire français sa borne avec paiement par CB à Nice. Je pense qu’il va falloir que les meilleurs tirent leur épingle du jeu et qu’il n’y aura pas qu’une seule religion en la matière... Mais il faudra qu’elle soit simple et transparente pour l’usager car revenons-en à l’essentiel : comment servir au mieux l’usager, pour que la recharge ne soit pas un frein à l’itinérance !

Tesla a prouvé qu'il était possible de mettre en place un réseau national, mondial même, de bornes rapides, mais on installe encore en France des bornes ultra lentes. Comment expliquez-vous cela ?

Je ne l’explique pas et ne me l’expliquerai jamais... Mon point de vue sur le sujet est connu de tous, j’ai tenté d’en faire part à l’ADEME dès 2015. En 2016, me basant sur l’analyse des usages d’un réseau territorial financé par ce PIA (Programme d'Investissement d'Avenir - NDLR), nous avons incité l’ADEME à investir dans la création d’indicateurs et de protocoles issues de notre premières cartographies analytiques. L’idée était de rectifier l’indicateur établi dans le cahier des charges de 2013 devenu obsolète (normal). Peine perdue, il était « impossible » de faire marche arrière selon eux, car il n’aurait pas fallu que quelqu’un puisse être désigné comme responsable.

Ce dispositif de financement (PIA IRVE, janvier 2013) a constitué un levier dynamique pour le territoire français qui a permis à la France de se hisser dans le peloton de tête des immatriculations électriques et des recharges publiques disponibles. Pour autant, ce levier avait quelques défauts de fabrication comme le financement au rabais de la recharge rapide, ou la préférence inique portée au 22 kW AC favorisant avant tout la ZOE qui auraient dû être rectifiés, ils ne l’ont pas été.

Pour en revenir à Tesla, le constructeur a démarré par ce qui est le plus facile : l’espace privé... C’est ce choix stratégique qui lui a permis d’établir si vite son maillage de superchargeurs. Il n’a pas eu à se confronter, en priorité, aux délicates « contraintes » que pouvait constituer l’occupation de l’espace public. Tesla a ensuite subtilement complété ce réseau avec un judicieux plan de « recharge à destination », puissance modérée et basée sur l’usage...

De nouvelles bornes ultra rapides, 150 kW, 350 kW même, sont disponibles chez plusieurs fabricants, et une poignée est même déjà en service. Voyez-vous ces bornes se multiplier bientôt ?

Assurément, j’en suis convaincue, bien que la majorité des voitures utilisatrices ne soient pas encore en circulation, elles arrivent ! Et ces constructeurs ne pourront pas demander à leur clientèle de perdre du temps « inapproprié » à la recharge. Certes, les batteries fourniront une autonomie beaucoup plus importante qu’aujourd’hui, pour autant, la recharge de la voiture devra être assimilée au temps que vous passez à la pompe.

Je sais que ce sujet est extrêmement polémique et n’entendez pas dans mes propos le fait que, seules les bornes de 150 kW / 350 kW sont le salut de l’électromobilité ! Elles sont une partie de la réponse comme la recharge accélérée devra l'être dans les entreprises et les wall box dans les maisons... C’est cet écosystème complémentaire, accessible et transparent pour l'usager qui rendra crédible l’électro-mobilité en l’intégrant à un système plus vaste de stockage et de gestion de l’énergie, sans oublier l’intégration des énergies renouvelables !

Enfin, pour cette nouvelle année, quels sont vos vœux pour l'électro-mobilité en France ?

Qu’elle se démocratise à tous les niveaux... Que ce ne soit plus l’apanage de quelques-uns, adoubés comme les « sachants ». Que ceux qui ont des idées nouvelles avec des business-models rentables soient valorisés. Les opérateurs privés sont encore peu nombreux sur notre territoire. Puissent-ils demain constituer un maillon dont la France sera fière. Laissons-les entreprendre !


Rubrique(s) et mot(s)-clé : hors-constructeur ; borne-recharge-electrique ; voiture-electrique