Huile de friture : une décision d'interdire illégale mais bienvenue
Ven 19/08/2022 — Ces huiles sont déjà bien recyclées.

Une alternative existe avec des petites structures locales, qui mettent en avant le lien très court entre le lieu de récupération, le lieu de retraitement, et le lieu de consommation du produit recyclé. Il est indéniable que ce circuit court, cette économie circulaire, soit séduisante, surtout quand elle vise l'autonomie totale, c'est-à-dire des voitures fonctionnant à 100 % avec de l'huile de friture recyclée. C'était à cela que pensait Julien Bayou, un député qui se dit écologiste, et qui avait déposé un amendement pour autoriser l'usage de l'huile de friture recylée comme carburant automobile. « Mieux vaut dépendre des baraques à frites que des monarchies pétrolières » dit-il. Et il a raison, sauf qu'il ne faut pas exagérer. La totalité des huiles de friture consommée dans le pays est loin de représenter seulement un pourcent (!) de la quantité de gazole consommée en France. C'est cependant toujours cela de pris, mais cela ne se fera pas, puisque le conseil constitutionnel (saisi par des députés du groupe La France insoumise) a rejeté cet amendement.
On pourrait argumenter qu'il s'agit là d'un excès de pouvoir, puisque par définition, le rôle du conseil constitutionnel est de vérifier si une loi est conforme ou pas avec la constitution, ce qui n'est pas en question ici. Le conseil constitutionnel l'indique d'ailleurs, qu'il ne préjuge pas de la conformité de l'amendement aux exigences constitutionnelles, mais qu'il constate que l'amendement n'a pas de lien, même indirect, avec le projet de loi initial, et que cela est contraire à la constitution. Ce qui est nouveau, parce que franchement, des lois fourre-tout, où on rajoute à la va-vite un amendement sans rapport avec le texte initial, cela s'est déjà vu, et cela était passé... Le statu-quo continue donc, et l'usage de l'huile de friture usagée comme carburant automobile reste interdit dans l'hexagone. Mais il reste la question principale, qui est de savoir si cette huile est un bon carburant auto.
Il faudra le dire à Julien Bayou, la réponse est négative. D'une part, cela ne marche pas sur les diesels récents, dotées d'une pompe à injection à très haute pression, qui refusera tout simplement de fonctionner avec un carburant de mauvaise qualité. Mais, même sur les vieux diesels, avec une pompe à injection indirecte, le moteur tournera moins bien avec de l'huile de friture, parce que ce carburant a un indice de cétane plus faible que le gazole. La voiture sera moins puissante, et elle consommera plus. Ce n'est pas possible autrement, parce qu'une huile de friture récyclée a un indice de cétane inférieur de 30 à 40 % à celui du gazole. Pour avoir le meilleur rendement possible, avec le meilleur carburant, mieux vaut en laisser la production à de grands acteurs, qui ont les moyens et le savoir-faire pour l'améliorer, l'additiver, et en faire du biodiesel, un produit aux qualités équivalentes à celles du gazole.
Oui, c'est sympathique et amusant de bricoler une vieille voiture, de parvenir à la faire marcher avec un carburant qu'on aura récupéré, décanté et filtré artisanalement, mais c'est du bricolage, et une mauvaise exploitation d'une ressource limitée. C'était bon au siècle dernier, plus aujourd'hui. Probablement sans le comprendre, le conseil constitutionnel a bien fait, et les députés qui avaient voté cet amendement avaient pris une mauvaise décision.
Laurent J. Masson
Rubrique(s) et mot(s)-clé : hors-constructeur ; biocarburant