Et si le poids lourd électrique n'était pas écolo ?
Lun 12/12/2022 — Principe de précaution.
Les constructeurs auto n'achètent pas de matières premières. Presque toutes les autos ont un chassis en acier, mais aucun constructeur n'achète de minerai de fer. Ils achètent des rouleaux d'acier laminés, prêts à emboutir. Les sièges d'une auto, on les recouvre de tissu ou encore de cuir (ce qui n'est pas écolo !), mais aucun constructeur n'achète jamais de fibres textiles ni de bovins. Les constructeurs achètent des tissus, ou des peaux traités et colorés, prêts à l'usage, quand ce n'est pas des sièges tout faits. Mais tout a changé avec la voiture électrique, puisqu'elle a amené les constructeurs auto à passer des accords avec des sociétés minières. Ford a conclu un accord ioneer LTD. Stellantis a comme Renault, signé avec Vulcan Energy, et Tesla est accément devenu exploitant d'une mine de lithium dans le Nevada. Que s'est-il passé ?Du fait de l'avènement de la voiture électrique, la demande de lithium a connu une véritable explosion. L'industrie du verre a besoin de lithium, les petites batteries des camescopes et des ordinateurs portables aussi, mais c'est la voiture électrique qui a fait quadrupler la demande de lithium en à peine une décennie. Et ce n'est pas fini, car s'il se vendra environ un million de voitures électriques neuves en Europe en 2022, il pourrait s'en vendre quelques 10 millions à l'horizon 2035. Au moins autant sur le continent nord-américain, et plus du double de cela en Chine. On comprend qu'il va falloir une quantité absolument phénoménale de lithium pour répondre à cette demande. Et alors qu'on parle aujourd'hui d'électrifier le transport lourd, avec Tesla qui vient de présenter son Semi dont la batterie aurait une capacité décuplée par rapport à celle d'une auto. Un camion Tesla a autant de batteries que 10 voitures Tesla, ou 20 petites Renault Zoé. Il faut comprendre que cela va entraîner une demande encore plus phénoménale de lithium. Et de cobalt , et de nickel...
Hausse des prix
Dans la décennie précédente, les promoteurs de l'électro-mobilité répétaient à l'envie que si les voitures électriques étaient chères, cela ne durerait pas, grâce aux économies d'échelle. Plus un produit est fabriqué en grande série, plus son prix baisse. Cette règle de l'économie est juste, mais il y en a une autre qui dit que pour que le prix d'un produit se stabilise, il importe que la demande pour ce produit se stabilise au préalable. L'industrie a considérablement réduit le coût de fabrication des batteries, mais le coût d'achat des matières premières, lui ne baissera probablement pas avant des années. C'est officiel, le prix des batteries a cessé de baisser. Mais comment pourrait-il en être autrement ? Le petit constructeur Lamborghini est fier de dire que son carnet de commandes est plein jusqu'en 2024, mais un producteur de lithium comme Vulcan Energy a déjà vendu presque toute sa production de 2030 ! Sans l'électrification des poids lourds, les estimations raisonnables sont que la demande de lithium sera une nouvelle fois multipliée par 4 d'ici 10 ans ! Il y a alors énormément de spéculation sur les métaux nécessaires à la fabrication des batteries, tant et tant que le gouvernement s'en préoccupe. Il a mis en place une délégation interministérielle aux métaux stratégiques. Mais cela ne changera pas grand chose, et l'électrification des poids lourds ne fera que renchérir encore le prix de ces matières premières, et donc des petites voitures électriques.La pollution des industries minières
Le lithium ne poussant pas aux arbres, il faut aller le chercher dans des mines, et cette extraction ne se fait pas sans dommages collatéraux. En Bolivie, ou au Chili, les personnes habitant à proximité des mines de lithium ne sont pas à la fête. Et les hausses prévues de la production ne vont pas améliorer les choses. Il faut alors espérer qu'on produise du lithium en France, et partout ailleurs où il y en a en Europe, parce que les normes environnementales y sont considérablement plus strictes qu'en Amérique du Sud. L'initiative Sustainable Lithium est excellente, mais son dimensionnement est encore bien trop faible. Sans compter qu'on peut imaginer qu'un plus plus grand respect de l'environnement ne fera, hélas, qu'augmenter encore les coûts de production.Une matière pas si abondante que cela
Début septembre, La Tribune avait publié un article alarmiste, sur une possible pénurie de lithium à l'avenir. On évitera pourtant de s'alarmer. Les estimations de l'Institut d'études géologiques des Etats-Unis sont qu'avec la production de 2021, les réserves dureraient 220 ans. Avec une production multipliée par 4, les réserves seraient encore de 55 ans. On aura peut-être trouvé une autre matière que le lithium pour stocker l'électricité d'ici là... Mais un point fâcheux est que les ressources facilement exploitables seront éteintes bien avant cela. C'est dire que le coût d'extraction du lithium, et l'impact environnemental de cette extraction, vont s'accroître.Des besoins de recharge dantesques
Dans les statistiques officielles, il y a quelques 600 000 poids lourds en France. Et ils roulent ! Aux débuts de la Renault Zoé, la marque au losange avait fait une offre de leasing petit rouleur, avec un kilométrage maximal autorisé de 5000 km par an. Alors que pour un tracteur routier qui change régulièrement de remorque, il n'y rien d'anormal à faire 5000 km en une semaine. Et l'autre grande différence avec les particuliers, est que les chauffeurs routiers doivent respecter des horaires très stricts, sans aucune marge pour inclure quelque temps pour la recharge. Le seul moment possible est lorsque le chauffeur dort, mais si on va la nuit sur les aires d'autoroute qui ont un marking pour poids lourds, on peut en voir des centaines. S'il faudrait tous recharger simultanément leurs énormes batteries, il faudrait des milliards rien que pour les infrastructures de recharge, et d'autres milliards pour mettre en place de nouveaux moyens de production d'électricité.Conclusion
De même que le pétrole, le lithium, comme d'autres matières indispensables aux véhicules électriques, est une ressource fossile. Il est certes recyclable, mais les infrastructures qui doivent permettre ce recyclage à très grande échelle sont encore embryonnaires. C'est dire que si la voiture électrique, c'est bien, le poids lourd électrique serait peut-être une énorme erreur. Il serait prudent d'au moins dissocier leur développement. Que toutes les voitures soient électriques, comme c'est l'objectif voulu par l'union européenne, et dans un second temps seulement, si tout se passe bien, qu'on envisage le poids lourd électrique. A défaut, le caractère abordable, et les vertus environnementales de la mobilité électrique vont diminuer. On pensera plutôt aux poids lourds dotés d'une pile à hydrogène, ou aux diesels alimentés par du biogazole.Laurent J. Masson
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