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Les 4 biocarburants : l'huile végétale brute, le biodiesel, les alcools et le BTL

Avec ce satané pétrole dont le prix n'en finit pas de battre de nouveaux records, il serait peut-être temps de considérer les biocarburants à leur juste valeur, celle d'un véritable substitut aux hydrocarbures minéraux. Deux des plus grands pionniers de l'automobile les considérait ainsi : « Il y a de l'essence dans toute matière végétale qui peut être fermentée » (Henry Ford, en 1906), et « L'usage des huiles végétales comme carburant automobile est aujourd'hui insignifiant. Mais à l'avenir, ces huiles pourraient devenir aussi importantes que le pétrole ou le charbon aujourd'hui » (Rudolf Diesel, en 1912).

Ce doit être le postulat de départ, tel qu'il l'était pour Henry Ford et Rudolf Diesel, les biocarburants ne sont pas de simples additifs pour écologiser les carburants pétroliers, mais ils peuvent les remplacer qualitativement. Ce postulat est pourtant fortement décrié partout dans le monde, et principalement en France, où on a même inventé une terminologie pour faire croire aux fausses limites des biocarburants. On dit ainsi d'un biocarburant qu'il est un bio-additif lorsqu'il est mélangé à l'essence dans une proportion de 0 à 5 %, et qu'il est un bio-composant quand la proportion est 5 à 30 %, comme dans le diester, mais on évite sagement d'évoquer les proportions plus fortes, et encore moins l'usage unique.

Le blocage vient des pétroliers, et de leurs lobbies. Le rapport Levy, même s'il date de 1992, est encore dans les mémoires. Le gouvernement français avait à l'époque cherché à déterminer la valeur, l'opportunité des biocarburants, et à qui avait-il demandé une étude ? A l'IFP, l'Institut Français du Pétrole. Autant demander à un imam taliban ce qu'il pense d'une femme en mini-jupe. Ce rapport concluait sans surprise à la non-viabilité des bio-carburants, il a fait autorité dans les ministères pendant plus de 10 ans.

Aujourd'hui, les choses semblent heureusement changer, et les français vont avoir l'occasion de le constater (ou non). Pressé en effet par Bruxelles, qui a lancé un ambitieux programme de développement des bio-carburants à l'échelle européenne, le gouvernement français est au pied du mur, et il est face à deux alternatives. La première est de laisser la maitrise des carburants aux pétroliers, la seconde de les mettre en concurrence avec de nouveaux acteurs.

La première solution est dans les faits déjà en pratique, elle consiste à ajouter une petite part de bio-carburant au carburant pétrolier. Dans une très faible mesure, c'est déjà le cas. Moins de 1 % du volume des carburants vendus dans le pays est constitué de bio-carburant. Mais ce n'est pas selon nous satisfaisant, car cela se fait de manière trop obscure, dans le dos de l'automobiliste, qui ne sait pas ce qu'il achète. Telle station vend un carburant pétrolier coupé avec 0,5 % de bio-carburant, la station d'à-côté vend un carburant 100 % pétrolier, l'automobiliste ne le sait pas.

Alors que les bio-carburants (on peut écrire aussi biocarburant) ont pourtant un avantage indéniable, celui de restreindre les émissions de gazs à effet de serre, puisque sa consommation ne sait rejeter dans l'atmosphère que le CO2 absorbé par les plantes durant leur croissance. En décomptant les émissions dû au processing (tracteur qui a ensemencé, etc...), on calcule que les bio-carburants réduisent les émissions de gazs à effet de serre de 80 à 90 %. Il faut le faire savoir, l'automobiliste doit le savoir !

Nous recommandons donc une vraie concurrence, entre le carburant pétrolier vendu comme tel, et le bio-carburant affiché bien distinctement, comme cela se fait déjà à l'étranger. Cet article n'évoquera donc que les purs bio-carburants, parce qu'il y a peu de vertu à mettre de l'eau dans son vin, et nous en avons recensé 4.

Ford Focus modifiée pour fonctionner à l'éthanol


— Les huiles végétales brutes (HVB)

C'est le carburant de la France d'en bas. Il s'agit des mêmes huiles dont on se sert en cuisine, seules les conditions sanitaires de fabrication diffèrent. Comme nous l'avions expliqué en 2002, le moteur diesel a été conçu pour elles. Huiles de tournesol, de colza, de chanvre ou d'arachides, le moteur diesel peut presque tout accepter. On peut prendre l'huile du commerce, achetée en supermarché, ou l'acheter directement auprès d'un producteur (c'est un agriculteur qui fait des plantes oléagineuses et qui est équipé d'un pressoir et du matériel nécessaire), ou même utiliser de l'huile usagée. C'est par exemple l'huile de friteuse d'un restaurant, qu'on aura préalablement filtrée avant de la verser dans le réservoir, et une voiture peut rouler avec cela ! Mais pas toutes les voitures diesel, et pas dans n'importe quelles conditions.

Le tort des HVB est en effet de ne répondre à aucune norme, ce qui se traduit par une invalidation de la garantie si survient un problème moteur, et ce qui se constate par une impossibilité de fonctionnement à froid : l'huile se fige. Il y a bien sûr une solution technique, installer un système de préchauffage du carburant, mais en hiver, le temps que le préchauffage soit effectif, on a plus vite fait d'installer un système de bicarburation, et de démarrer au gazole, avant de commuter à l'huile dés qu'elle est assez chaude : dés que sa viscosité est adéquate.

Le réchauffeur d'huile, c'est la première grosse modification à effectuer pour convertir une auto diesel à la consommation d'HVB, et la seconde, c'est un retarage des injecteurs, ce qui écarte tout diesel moderne. Les derniers système d'injection directe, à rampe commune, apportent des avantages indéniables, plus de puissance pour une plus faible consommation, mais ils sont d'une sophistication telle, avec leur électronique de contrôle omniprésente, que les adapter pour qu'ils fonctionnent à l'HVB semble impossible sans la participation des constructeurs (quelqu'un sait retarer un injecteur piézo-électrique ?). Or, ces derniers refuseront toujours de s'investir dans un carburant dont la qualité est trop inégale entre le particulier qui récupérera l'huile d'un fast-food, et l'agriculteur qui fait du tournesol.

=> Un moteur diesel fonctionnant avec n'importe quelle huile végétale est nécessairement un moteur au fonctionnement non optimisé, car si on veut une mécanique fonctionnant de manière optimale, il faut un carburant de qualité constante. On peut certes imaginer un système électronique d'analyse de l'huile, en permanence et en temps réel, et qui adapterait la gestion de l'allumage et de l'alimentation en fonction de la qualité de l'huile, mais qui est prêt à financer le coût de développement d'un tel système ?

Soutenu par les agriculteurs et les bricoleurs, avec des vieilles voitures et des tracteurs, les huiles végétales brutes n'ont selon nous qu'un potentiel local. On consommera de l'HVB là où cela est convénient, c'est-à-dire là où on peut produire ou récuperer de l'huile à faible coût, mais tout développement à grande échelle de ce carburant nous semble exclu.


— Le biodiesel

Le biodiesel, c'est de l'huile végétale brute revue et corrigée par des chimistes, et produite industriellement, avec un contrôle qualité, et en respectant des normes précises. Le biodiesel marche dans toute voiture diesel, même les plus récentes avec injection à haute pression par rampe commune. Le biodiesel ne se fige pas quand il fait froid, le biodiesel est reconnu et accepté par les constructeurs car il respecte une norme stricte.

Nous mettons en ligne un abrégé de cette norme, qui ravira les ingénieurs motoristes, puisqu'ils disposent ainsi d'un tableau de propriétés, étendu, cohérent, et tellement proche des qualités du gazole qu'aucune modification n'est nécessaire sur les moteurs qui utiliseront ce carburant. Seule petite restriction, elle porte sur les canalisations de carburant. Le biodiesel exerce une corrosion différente de l'essence sur les durits qu'il traverse, et certains tuyaux en matière synthétique peuvent ne pas le supporter. Mais en principe, toutes les voitures diesel vendues en 2005 sont compatibles.

Le processus qui permet de convertir l'HVB en performant biodiesel se résume essentiellement en une transestererification, suivie d'une réaction avec du méthanol (un alcool). Le biodiesel est aujourd'hui disponible dans une station sur dix en Allemagne, ce qui donne à l'automobiliste allemand le choix, soit de faire son plein avec un carburant pétrolier, soit de le faire avec un carburant agricole. Nous ne trouvons pas de raisons pour lesquelles ce choix, offert aux allemands, ne pourrait être offert aux français... De l'autre côté du Rhin, les 2 carburants sont quasiment au même prix, cela du fait d'un écart de fiscalité, le biodiesel étant logiquement détaxé, puisqu'il fait travailler des travailleurs allemands, et qu'il réduit les émissions de gazs à effet de serre.

En Allemagne, le biodiesel est produit à partir du colza. C'est un excellent biodiesel, avec un indice de cétane supérieur à celui du gazole et une teneur en souffre ridicule, mais ailleurs dans le monde, on le produit à partir des plantes oléagineuses locales, jojoba, noix de coco ou autre. Avec du colza, le rendement est de 1400/1500 litres de biodiesel à l'hectare, mais dans les pays chauds, la plante la plus prometteuse est le jatropha curcas, qui permettrait de faire monter le rendement à 3000 litres à l'hectare. Dans l'absolu, c'est encore faible, on sait faire mieux avec le BTL, mais pour de la technologie classique, c'est excellent. Il y a pourtant encore plus prometteur, c'est le biodiesel à partir d'algues. Mais qui dit algues, dit production en mer, soit production coûteuse, et difficile car la corrosion de l'eau salée est redoutable : la moissoneuse-batteuse de qualité marine reste à inventer.


— Les alcools

On touche à un sujet doublement épineux, car si la consommation automobile d'un carburant est soumise à une lourde règlementation, et une toute aussi lourde taxation, la production d'alcool est elle carrément interdite. Il est interdit en France de posséder un alambic... Des vieilles lois, qu'on pourrait bien supprimer aujourd'hui, et qui ont abouti à la création de ce qu'on appelle les alcools dénaturés, soit des alcools auxquels on a ajouté un produit toxique afin qu'ils ne puissent servir à la consommation humaine. Il ne faut pas mélanger l'alcool boisson pour adultes de l'alcool industriel, mais pourtant l'un comme l'autre sont des carburants formidables pour la plupart des moteurs à allumage commandé.

Henry Ford a longtemps cru que les alcools étaient un meilleur carburant que celui issu du pétrole. Les avions de chasse Mitsubishi Zero, de l'armée japonaise pendant la seconde guerre mondiale, étaient prévu pour fonctionner avec de l'alcool de riz. Les rockets V1 et V2 des nazis aussi, marchaient à l'alcool.

Dans le domaine automobile, c'était le Brésil qui avait pris les devants dés les années 1970 en lançant un vaste programme de développement de l'éthanol à partir de la canne à sucre. Pour cela le gouvernement (par le biais de la société pétrolière nationale Petrobras) s'était engagé à acheter à bon prix tout l'éthanol que les paysans pourraient produire. Petrobras revendait ensuite cet éthanol aux automobilistes dans tout le pays, et parvenait même à gagner de l'argent, mais cela ne marcha plus quand la spéculation fit monter le cours du sucre, alors que le prix du pétrole tomba au plus bas, en 1986/87. Aujourd'hui, avec le pétrole au plus haut, le Brésil est reparti en avant toute sur le chemin de l'alcool carburant.

Cela d'autant plus facilement qu'un grand progrès est apparu, on sait maintenant faire des voitures parfaitement bivalentes alcool/essence. C'est Bosch qui sait en fait, les Volkswagen, les Chevrolet, les Fiat, Peugeot et les autres autos proposées sur le marché brésilien avec la faculté de rouler aussi bien à l'essence, qu'à l'alcool ou n'importe quel mélange des deux, utilisent toutes le système d'alimentation Bosch Flex Fuel. Ce système analyse en permanence la proportion d'alcool dans le réservoir et adapte les paramètres de gestion moteur en fonction de ce qu'il trouve. On peut ensuite préciser que cela est assez complexe, car l'alcool a des propriétés bien différentes de l'essence. Il brûle par exemple à une température plus basse, et avec un rapport de proportions air/carburant bien différent. Il fallait toute la compétence de Bosch pour développer un système qui marche sans heurts.

Trois alcools sont communément connus comme possibles carburants auto, l'éthanol, le butanol et le méthanol, mais c'est le premier qui est le plus usité, et de très loin. On le fabrique aux Etats-Unis à partir d'avoine, à partir de betteraves en Europe, et à partir de canne à sucre au Brésil. On parle parfois de bio-éthanol, ce qui est un non-sens parfait, qui prouve la toute puissance du Dieu-pétrole. Parle t-on de bio-alcool ? L'éthanol est un alcool, c'est donc par définition un produit agricole, même si on peut aussi le fabriquer à partir du pétrole.

Au Brésil, l'automobiliste qui possède une auto Flex Fuel a le choix, et il peut se ravitailler aussi bien avec l'un ou l'autre carburant, mais l'atout de ce pays étant qu'avec une canne à sucre qui pousse toute seule sous ce climat, et des paysans dont les salaires sont bas, très bas, l'alcool est moins cher que l'essence ! En France, la betterave n'est pas aussi intéressante.


— Le BTL, biomass-to-liquid

Le BTL, c'est l'avenir. Le vrai bio-carburant du futur (en attendant l'hydrogène, encore plus avantageux), c'est lui, et qui est-il ? Il est le fruit de toute la technologie du XXI° siècle. Les bio--carburants précédents sont en effet des techniques anciennes, nées au XIX° siècle, et avec un rendement qu'on a certes considérablement amélioré depuis lors, mais qui reste médiocre. L'enjeu du BTL, c'est de parvenir à produire plus de 5000 litres de carburant à l'hectare. Pour cela, il n'est plus question d'utiliser partie de la plante, comme on le fait pour l'HVB, mais la totalité de l'espèce. Et pas une plante particulière, mais n'importe quelle plante. Et aussi les feuilles mortes, les copeaux de bois, soit d'une manière générale : n'importe quelle biomasse.

Voilà le challenge qui a été donné aux ingénieurs, transformer la biomasse en carburant auto. Ce n'est pas très original en fait, puisque la nature le fait très bien. Le pétrole d'aujourd'hui était de la biomasse il y a des millions d'années, la nouveauté est de parvenir à faire cela rapidement, on y est parvenu. C'est cependant assez difficile d'expliquer comment de manière simple, car cela ne l'est pas. Très basiquement, on peut expliquer que la biomasse est d'abord comprimée, puis chauffée, ce qui a pour effet de la transformer en gaz, et que ce gaz est ensuite transformé en liquide, et c'est ce liquide le carburant auto. Nous mettons en ligne un shéma simplifié du process, et pour celui qui veut en savoir plus, le leader mondial de cette technologie est la société allemande Choren. Cette entreprise compte DaimlerChrysler et Volkswagen parmi ses actionnaires, ils ont tous deux validé sa technologie, idem l'Europe, qui a en partie financé l'usine pilote de Freiberg. Encore en cours d'améliorations, cette installation a demandé de très lourds investissements, qui mettront longtemps à être remboursés, mais l'énorme potentiel de cette technologie est prouvé.

Mercedes classe E, non modifiée se ravitaillant avec un carburant pour diesel issu de la biomasse, produit par la société Choren.


Si vous avez mis 3 minutes à lire cette page, 36 enfants sont morts de faim pendant ce laps de temps. Ils seront 16 000 à mourir aujourd'hui. Demain, pareil. Alors, si l'idée que l'agriculture puisse subvenir aux besoins des voitures parait bonne, on n'oubliera pas de rappeller que son premier but est de nourrir les populations, et qu'elle n'y parvient pas. Même avec les dizaines de milliards d'euros de la politique agricole commune européenne, ni les dizaines de milliards de dollars de subventions versés aux agriculteurs américains.

On n'oubliera pas non plus de rappeller que les agriculteurs, avec les milliers de tonnes de pesticides et d'engrais chimiques qu'ils déversent dans le sol, sont au tableau d'honneur des plus gros pollueurs de la planète, même s'ils ne sont pas totalement responsables, puisque plus ils emploient d'engrais toxiques, plus on leur donne de subventions. Et avec l'irrigation intensive, ils ne sont pas non plus innocents devant la sécheresse qui touche de nombreux départements.

Souvenons-nous enfin de la visite officielle en juillet dernier de Lula, le président du Brésil, qui était venu en France proposer son éthanol, et que notre président Chirac a refusé catégoriquement. Que les automobilistes d'un pays riche comme la France circulent grâce à un biocarburant acheté à un pays pauvre comme le Brésil (qui apprécierait beaucoup de faire rentrer des euros...), et diminuent les émissions de gaz à effet de serre, ce serait totalement inadmissible.

Alors, en rêvant du bon despote éclairé de Rousseau, qui gouvernerait pour le bien des peuples, on a vite fait de se dire que les plus sains d'esprit, dans ce monde qui ne l'est pas, ce sont les paysans et les bricoleurs qui font marcher leurs vieilles bagnoles à l'huile végétale brute. Puissent-ils durer jusqu'à l'arrivée sur le marché du BTL et de l'hydrogène !



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