L'interopérabilité des bornes de recharge, cancer de la voiture électrique
De même que les voitures à moteur à explosion ont besoin de stations essence pour leur ravitaillement, les voitures électriques ont besoin de bornes de recharge. Mais la comparaison s'arrête là, immédiatement, tant les différences sont immenses entre l'essence et l'électricité. Cela paraît certes normal. Le produit est d'une toute autre nature. Mais l'organisation de la distribution est elle aussi sans aucun rapport, ce qui n'a pas lieu d'être, et qui de plus n'est pas à l'avantage des consommateurs. Bien au contraire.
L'abonnement forcé
L'essence est traditionnellement vendue à l'acte, alors que l'électricité est traditionnellement vendue sur abonnement. Ces pratiques ne sont cependant pas exclusives. Le pétrolier Total commercialise une carte de paiement, la carte GR, qui remplace le paiement en station par une facture mensuelle unique, mais elle est destinée aux seuls professionnels. Les particuliers ont l'habitude de payer leur carburant à l'acte, sans aucune formalité préalable, ni après-coup. Certains disent qu'on ne peut faire de même avec l'électricité, parce que les montants sont bien moins élevés, mais on compte pourtant en France des dizaines de milliers de boulangeries, ou de vendeurs de journaux, où les commerçants gagnent leur vie avec de toutes petites transactions.
Les gens ont été habitué pendant des décennies à payer leur électricité par abonnement, et les exploitants de bornes de recharge, sans scrupule, surfent astucieusement sur cette habitude, pour leur plus grand profit. Alors que l'abonnement pour l'électricité de la maison ne se justifie que pour la seule et unique raison que la distribution est constante. Les milliers de personnes qui ont un chauffage au fioul se font livrer cette énergie sans abonnement, idem le bois de chauffage. C'est la constance de la fourniture qui donne du sens à l'abonnement. Lorsque la fourniture est irrégulière, comme l'est la vente de carburant automobile, l'abonnement n'a plus de sens. Mais c'est pourtant la méthode de commercialisation que mettent en avant tous les opérateurs de bornes de recharge. Parce qu'ils font le choix de la face la plus abjecte du capitalisme, celle des rentiers. Ils ont ainsi la sournoise habileté de ne pas se présenter comme ce qu'ils sont, des vendeurs d'électricité, mais comme des prestataires de service.
Par la ruse
On entre alors dans une univers de fausseté, et d'exploitation sans vergogne de l'automobiliste. Dans une station essence, le fait de se garer devant la pompe, et de mettre le pistolet dans l'embouchure de son réservoir ne coûte rien, tant qu'on n'a pas ouvert le débit de carburant. Il n'en est pas ainsi avec une électrique, où le simple fait de brancher son auto, avant la délivrance du premier watt, impose déjà le paiement de quelques frais d'accès, ou de branchement. Quant à l'électricité proprement dite, une énergie connue de tous, avec des dizaines de millions de français qui reçoivent tous les 2 mois une facture en kilowatt-heure, le détail de sa quantité est souvent absent, jamais mentionné nulle part, et on parle plutôt de minutes. Alors que la puissance du courant délivré n'est même pas garantie ! La voiture a été branchée 20 ou 30 minutes. Les pompes à essence vont-elles s'inspirer de cette nouvelle mode ? Va t-on bientôt cesser de payer l'essence au litre, et payer pour avoir fait couler un carburant liquide dans son réservoir, pendant 2 minutes et 47 secondes ?
Tout est fait pour endormir le client, lui faire croire est que la fourniture d'électricité n'est plus le principal, mais rien qu'un élément mineur dans l'action de recharger, et que le tout est une opération complexe, dans laquelle le détail de l'acte d'achat est trop technique pour le profane, parce qu'il entraîne toute une suite de processus et de frais annexes qu'il serait fastidieux d'énumérer, et plus encore d'expliquer. C'est comme cela que démarre les plus belles escroqueries. Sur les réseaux de bornes de charge des sociétés
Kiwhi et
Sodetrel, les abonnés doivent s'acquitter chaque mois de frais de gestion. Peu importe qu'ils aient utilisé une borne ou non. Ils peuvent avoir passé tout le mois en vacances à l'étranger, il leur faut payer quand même. Quelle belle arnaque ! Jean-Luc Mélenchon n'a pas encore proposé de mettre la tête des dirigeants de ces entreprises infâmes en haut de piques, mais cela ne saurait tarder. En sus, comme si cela ne suffisait pas, sur certains réseaux de bornes de charge, comme le réseau parisien Belib, il faut payer des frais d'inscription (15 €) pour avoir le privilège de pouvoir brancher son auto. Si cette abomination se poursuit, à l'avenir, on évoquera les stations essence en parlant du bon vieux temps. Pas d'abonnement, pas de frais de gestion, pas de frais d'adhésion... Le pire étant peut-être que ce matraquage de l'automobiliste, se met en place sous le regard bienveillant de l'état (et des collectivités locales), qui en dépit du fait qu'il co-finance la majorité des bornes, se moque éperdument de leur accessibilité, à tous, sans frais caché, ni formalité.
La concurrence empêchée
Une planche de salut aurait pu être dans la concurrence entre les différents réseaux de bornes de charge, elle a hélas été clouée dans l'abysse par le plus infect des poisons : l'interopérabilité. L'idée avait certes un certain charme lorsqu'elle fut énoncée pour la première fois. Avec un abonnement unique, on allait pouvoir recharger à toutes les bornes du monde. Sauf que si c'est si bien que cela, il faut se demander pourquoi cela n'existe pas avec les stations essence. La carte Total GR ne marche pas dans les stations BP ou Esso, et aucun des trois n'a le plus petit désir d'avoir un outil de paiement partagé. Pourtant, si cela ne serait pas dans l'intérêt des automobilistes, ce serait à leur avantage. Le fonctionnement de l'interopérabilité entre opérateurs de bornes de recharge, est bien connu des amateurs de romans de la série noire. Quand la grande Lulu, la gagneuse de Riton le lyonnais, est malade, c'est la Rita la blonde, la fille de Tony le corse, qui prend sa place sur le trottoir. Mais parce qu'une femme à Tony a pris la place de travail d'une femme à Riton, Tony doit partager les recettes avec Riton. L'interopérabilité des bornes de charge pour voitures électriques, cela fonctionne tout pareil.
Le client abonné à un réseau de bornes A peut aller recharger sur une borne du réseau B, mais le gain de l'opération sera partagé entre les exploitants des réseaux A et B. Et c'est mal. C'est très mal, d'une part parce que cela consacre l'idée de l'abonnement, qui place pieds et poings de l'automobiliste dans un carcan, et enfin parce que cela tue la concurrence inter réseaux... Alors que les Etats-Unis montre l'exemple d'une concurrence qui marche, et qui est positive pour les automobilistes. Fin 2016, le réseau de bornes de charge
EVgo annonçait la mise en service de bornes 350 kW. 2 semaines plus tard, le réseau concurrent
Chargepoint frappait plus fort, et annonçait des bornes de 400 kW. Voilà de la concurrence comme on voudrait en voir en Europe ! Mais ce n'est certainement pas en mutualisant l'accès aux bornes, et donc en empêchant de fidéliser le client, qui va à la borne comme il va à un guichet de sécurité sociale, qu'on va y parvenir.
De bons acteurs et du potentiel, pourtant
Quelle erreur, parce qu'à la différence des stations essence, où les carburants vendus chez BP, Esso ou Total sont très proches, les différences sont immenses entre bornes lentes et rapides, électricité nucléaire ou d'origine renouvelable. Il y a matière à construire de véritables images de marque, et la
Compagnie Nationale du Rhône semble l'avoir compris, par le déploiement estimable d'un réseau de bornes rapides, alimentées par de l'électricité verte. On voyait dans les années 1970, des autocollants
Renault préfère Elf, on aimerait voir aujourd'hui,
Renault préfère la CNR. Lidl, le discounter allemand, a lui bien compris la nécessaire simplicité d'accès aux bornes de recharge. Seule encore une poignée de ses supermarchés possèdent des bornes, mais celles-ci sont accessibles sans aucune formalité. Et soucieux de l'environnement, Lidl ne distribue pas d'électricité d'origine atomique. Il faut partir de ce qui marche, plutôt que chercher à tout réinventer. Les réseaux Total, BP et Esso se font concurrence dans la distribution de carburants pétroliers, et cela va bien. Il y a aussi de la place pour des seconds couteaux, comme Avia et Elan. Il serait formidable d'avoir la même chose dans la distribution d'électricité, et il n'y a aucun besoin d'interopérabilité, ni d'abonnements multi-réseaux.
Nous pouvons conclure positivement. Oui, la mise en place de réseaux de bornes de charge qui soit à l'avantage des automobilistes est possible. Il faut juste ne pas tomber dans le panneau tendu par des escrocs, de l'abonnement, des frais d'adhésion ou de gestion. Ces choses n'ont aucun sens dans la distribution d'essence, il n'y a pas de raison pour qu'elles en aient un avec l'énergie électrique. D'autant plus que tout le monde ne l'a pas encore vu, mais si Tesla propose déjà 2 modèles avec des batteries de 100 kWh,
MoteurNature connaît 10 autres constructeurs (oui, 10 !) qui développent des autos à batterie de capacité similaire ou supérieure. La période où la recharge d'une voiture électrique ne coûtait que 2/3 € va vite s'achever (comme la recharge lente).
On paiera demain la recharge d'une électrique à l'acte, comme pour une essence, et les montants seront substantiels. Le réseau de superchargers Tesla déjà, qui est le premier réseau de France (ci-dessus) par la quantité d'énergie délivrée, vend l'électricité à 20 centimes le kWh, sans aucun autre coût caché. L'arrivée annoncée des pétroliers, qui s'ils sont peu respectueux de l'environnement, sont de bons commerçants, devrait poursuivre dans cette voie de la simplicité, avec des bornes de recharge à côté des pompes à essence, et un paiement à l'acte similaire quelque soit l'énergie dispensée. On peut donc enterrer l'idée d'interopérabilité, comme celle de l'abonnement, car ni l'une ni l'autre n'ont été inventées pour servir les automobilistes, et parce qu'elles sont néfastes au développement de l'électro-mobilité, en ne servant qu'à enrichir des tiers qui ne sont même pas producteurs d'électricité.
Laurent J. Masson
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